Anse de Topiti: débarquement de la mission Pearl Harbor

Origine de la source: 
Antoine Poletti
Section: 
Géoloc
Ville: 
Topiti
Id: 
1 120
Texte long: 

Deux missions partent d'Alger pour la Corse en décembre 1942 et janvier 1943. Elles agissent sans concertation. L'une d'elles, Pearl Harbour, est l'émissaire des services du général Giraud installés à Alger. L'autre, Sea Urchin, a été préparée à Londres sous le contrôle du général de Gaulle. 

Pour la première fois depuis que l’Afrique du nord est libérée, dans la nuit du 13 au 14 décembre 1942, un sous-marin, le Casabianca débarque, dans l’anse de Topiti entre Porto et Cargèse, la mission Pearl Harbor composée de 4 personnes : De Saulle, Laurent Preziosi, Toussaint Griffi et le radio Pierre Griffi muni de son poste. La mission traverse la route et rejoint Revida avant d’aller à Marignana, puis Corte.

Latitude/Longitude: 
POINT (8.58572 42.1805)
Citations: 

Extraits du livre de Maurice Choury La Résistance en Corse -Tous bandits d’honneur - Éditions sociales (1968) - La Marge Edition (1988); Éditions Piazzola septembre (2011)

Mission Pearl Harbor. Etablir le contact avec la Résistance

Premier objectif: atteindre le hameau de Revinda et trouver un refuge pour installer le poste. Denis reste à la plage. Les autres s’enfoncent dans le maquis, s’orientant à l’estime, et franchissent avant le petit jour la route nationale près du pont de Fornello où une vieille bergère 1 leur indique le chemin de Revinda. De Saulle boite bas. Preziosi et Toussaint Griffi prennent les devants. On grimpe à flanc de colline, dans une contrée dont l'aurore dévoile la sauvage beauté. Maquis chétif, herbe rare, horizon barré pat de gigantesques chaos rocheux. Il semble que toute vie se soit retirée de ce coin de terre. Non, voici les empreintes fraîches d'une harde de sangliers et voici même «un cristianu» 2. Sur le sentier qui mène à Revinda, un curé chemine à dos de mulet. Preziosi et Griffi se tapissent, l'observent au passage et chuchotent:

Si on l'abordait?

Hum! c'est peut-être un vichyste... Tu sais, les curés et Pétain, ça marche ensemble.

Pas celui-là. Regarde-le. C'est un paysan en soutane. Il l'a même retroussée, le gaillard! Je le verrais mieux en braconnier qu'en curé.

C'est la Providence qui nous l'envoie!

Bah! on ne connaît personne dans le secteur. Alors, celui-là ou un autre...

Le curé de Cargèse sursaute en voyant surgir du maquis deux têtes totalement inconnues. Abordé sans trop de précautions, il est quelque peu sceptique:

Qui me prouve que vous dites vrai? Votre histoire de sous-marin me paraît fantastique. La région est infestée d'Italiens...

Et ça, vous en connaissez par ici? réplique Preziosi en exhibant sa mitraillette.

L’abbé Mattei est convaincu. Il prend nos deux hommes sous sa protection. Pour un peu, il leur donnerait sur-le-champ sa bénédiction. Le commandant rejoint le groupe. On monte à Revinda où l'on fête sainte Lucie. Le curé fournit un guide, Dominique Antonini, et des mulets. On récupère le radio Griffi demeuré avec sa lourde valise près du point de débarquement et on progresse, à travers monts, vers Marignana. Où les frères Nesa 3 et leur oncle Antoine alertent le curé du village. L'abbé Ceccaldi part aussitôt à la recherche d'une «planque». Pour le poste émetteur et son radio. Par Cristinacce 4 et Calacuccia, on gagne Corte où les émissions commencent dès le 19 décembre au domicile d’un Alsacien nommé Lhoersch.

[...]

14 décembre 1942, pour la première fois un sous-marin venu d’Alger se positionne à quelques centaines de mètres des côtes corses et y débarque, avec un youyou, les premiers hommes de la mission Pearl Harbor.

Le sous-marin a quitté Alger le 11 décembre 1942 au soir pour y débarquer sur les côtes corses quatre hommes de la mission Pearl Harbor. Le choix du lieu se porte sur la côte ouest très découpée, précisément entre Cargèse et Piana sur la petite plage de Topiti, située au fond de la baie de Chjuni.

La Résistance corse étant dépourvue de poste radio émetteur-récepteur, le sous-marin n’est ni annoncé ni attendu. Donc, la mission devra être débarquée « blind », à l’aveugle, et s’aventurer dans le maquis en espérant qu’elle ne rencontrera pas les soldats de l’armée italienne et au contraire pourra établir le contact avec la Résistance insulaire. La mission est périlleuse. Bona furtuna !

Après la frayeur causée par un début d’incendie dans le compartiment des munitions, au terme de deux jours de navigations, les côtes corses sont en vue. Mais frayeur encore ! Cette fois c’est à cause du périscope déréglé qui n’a pas averti que le sous-marin s’approchait dangereusement d’une paroi rocheuse.

A 0 heure trente, ce 14 décembre 1942, le sous-marin, qui a fait surface, largue un youyou avec les hommes de la mission (Le commandant de Saule, Laurent Préziosi et les cousins Denis et Pierre Griffi), M. Brown des services secrets américains et deux marins (Le quartier-maître Lionnais et le timonier Vigot) qui mènent le youyou jusqu’à terre. Ils emportent avec eux un poste valise radio clandestin. Lionnais et Vigo reviennent à bord. De Saule, Preziosi et Toussaint Griffi après une longue marche dans le maquis établissent le contact avec des patriotes à Revinda, petit hameau de Marignana. Le soir du 14, ils reviennent chercher Pierre Griffi resté sur la plage avec son poste radio, en compagnie de Brown. Le sous-marin envoie un youyou avec trois hommes (Lionnais, Vigo et Lasserre) pour récupérer l’Américain mais la mer est forte et le frêle esquif est drossé contre les rochers, donc inutilisable. Brown, excellent nageur, réussit à rejoindre le sous-marin et annonce la bonne nouvelle : le contact est établi. Mais la mauvaise nouvelle c’est que les trois hommes d’équipage devront rester à terre en attendant qu’on puisse un jour les récupérer.

  • 1. Santa Angeletti dite Santa di Note
  • 2. Un chrétien, un humain; locution corse familière
  • 3. Charles et Benoit Nesa, condamnés à mort par contumace le 27 juillet 1943 par le tribunal militaire du VIIème corps d'armée italien
  • 4. Sous la conduite du maçon Xavier Bazziconi, condamné à vingt-quatre ans de réclusion par contumace le 27 juillet 1943

Premières missions sans concertation en Corse occupée : Pearl Harbour et Sea Urchin.

Deux missions partent d'Alger pour la Corse en décembre 1942 et janvier 1943. Elles agissent sans concertation. L'une d'elles, Pearl Harbour, est l'émissaire des services du général Giraud installés à Alger. L'autre, Sea Urchin, a été préparée à Londres sous le contrôle du général de Gaulle. 

Le commandant de Saule, un officier de renseignement d'origine belge, dirige Pearl Harbour. Cette mission réussit à conclure des accords avec le Front national corse qui est de direction communiste. Fred Scamaroni, chef de la mission Sea Urchin, n'en a pas la possibilité, dans la mesure où les communistes n'acceptent pas de faire allégeance à De Gaulle. Les deux missions ont un objectif commun qui est la libération de la Corse, et elles oeuvrent dans le même temps jusqu'à l'arrestation de Fred Scamaroni en mars 1943, mais sans coopérer.
Le commandant de Saulle est assisté de Laurent Preziosi et de Toussaint Griffi qui revendiquent pour Pearl Harbour le premier rôle dans la préparation de la libération de la Corse. Laurent Preziosi dit ne pas avoir été informé de l'existence de la mission Scamaroni :  Je n'ai appris son existence qu'après la Libération. Toussaint Griffi l'estime de peu d'importance : Il est indéniable que Fred Scamaroni (que je connaissais!) était un grand résistant, mais le rôle qu'il a joué en Corse a été minime1. Arrêté peu de temps après son arrivée et soumis à d'odieuses tortures lors des interrogatoires raffinés par les hommes de l'OVRA, il s'est donné la mort dans sa cellule. Reste à vérifier l'existence du soi-disant R2 qui, parait-il, n'aurait été inventé qu'après la disparition de Scamaroni, pour les besoins de la cause2

Quant aux rapports entretenus avec les dirigeants communistes en Corse par la mission Pearl Harbour, et à leurs effets politiques, Toussaint Griffi en minimise le poids. Il écrit en juillet 1998 au président de l'ORA : Au lendemain de la Libération, les communistes en perte de vitesse idéologiquement parlant, avec l'apport de quelques partisans n'appartenant à aucune organisation structurée, se sont réunis pour s'attribuer le travail accompli par la mission De Saule. L'analyse de Laurent Preziosi est un peu différente : dans une lettre au général Roidot du 26 juillet 1998, il évoque le rôle du Parti communiste à la libération de la Corse : .. que les dirigeants communistes tel Arthur Giovoni aient pu dans une certaine mesure s'assurer au nom du Front national une influence majeure, à qui la faute ?  Et pourquoi le leur reprocher ?. Quant à l'engagement dans une mission giraudiste, il estime que les faits l'ont justifié.   

Auteur : Hélène Chaubin
Source :

  • Archives privées du général Roidot.
  • 1. Opinion partagée par le colonel Paillole dans sa lettre du 13 juillet 1998 au général Roidot où il écrit à propos de Fred Scamaroni : je suis le premier à reconnaitre l'esprit de sacrifice et l'héroïsme, mais  son oeuvre résistante en Corse a été pratiquement égale à  zéro faute de moyens et de directives.
  • 2. Le service liquidateur des archives du BCRA dans une note au secrétaire général de la commission nationale d'homologation des Unités combattantes de la Résistance, en date du 10 avril 1958, relève au titre de R2 Corse la mission acheminée le 7 janvier 1943 à Coti-Chiavari avec Fred Scamaroni, chef du réseau R2 ainsi que les transports aériens de troupes en provenance d'Afrique du  Nord à partir du  5 octobre 1943 en vue des opérations sur les côtes méditerranéennes.
Anse de Topiti
Plaque de l'église de Revinda
Stèle commémorant le 1er débarquement du sous-marin Casabianca
Stèle commémorant le 1er contact avec la Résistance en Corse
datedebut: 
Dimanche, 13 Décembre, 1942