Petreto-Bicchisano, haut-lieu de la Résistance insulaire

Origine de la source: 
Antoine Poletti
Section: 
Géoloc
Ville: 
Petreto-Bicchisano
Id: 
1 180
Tags: 
Texte long: 

Dans ce haut-lieu de la Résistance insulaire, de nombreux villageois  sont passés à la clandestinité. Coups de main, réception de parachutages, etc. font s’abattre une dure répression sur le village, le 7 Août 1943: morts (Jules Mondoloni, Dominique Bighelli, Charles Giacomini), rafle et déportation de 32 personnes. Parmi elles, le jeune Charles Bonafedi mort au combat en Slovénie, auteur du « Testament à la jeunesse ».

Petreto-Bicchisano est le village natal de Paulin Colonna d’Istria, un des chefs de la Résistance insulaire.

Latitude/Longitude: 
POINT (8.98 41.7847)
Citations: 

Extraits du livre de Maurice Choury La Résistance en Corse -Tous bandits d’honneur - Éditions sociales (1968) - La Marge Edition (1988); Éditions Piazzola septembre (2011)

Bighelli et Giacomini

Ragaillardis par la présence des hitlériens, les fascistes poursuivent leurs méfaits. De nombreuses personnalités 1 sont arrêtées et déportées. L'ennemi tend des embuscades. C'est dans l'une d'elles que tombent Bighelli et Giacomini.

Un puissant maquis, organisé par Jean Nicoli, Dominique Bighelli et Jules Mondoloni, contrôle la région englobant les trois cantons de Petreto-Bicchisano, Olmeto et Serra-di-Scopamene. II y a là, autour de Bighelli et de «Ribello», Zaza Nicoli, le fils de Jean, François Mondoloni, le plus jeune frère de Jules, Charlot et Jean-Baptiste Giacomini.

C'est dans cette région, à Casalabriva, que Jean Nicoli et Tony Ogliastroni ont composé le chant de guerre du Front National, la «Sampiera» :

Ch'a lu son di lu culombu (Qu'au son du Colombo)
Da li monti d la marina (De la montagne à la marine)
S'attruppi tuttu lu mundu! (Tout le monde se groupe!)
L'annezzione s'avicina (L'annexion nous menace.)
E come nu temp' antighu (Comme au temps jadis)
Fatte front' alu numighu! (Faites front à l'ennemi.)
Ritti corsi! Corsi ritti! (Debout Corses! Corses debout!)
Siatte cors'e francesi (Soyez Corses et Français)
Tutt' all' arme corsi' arditi, (Tous aux armes, Corses hardis,)
Morte, morte ali numighi! (Mort, mort aux ennemis!)

Chaque village est un bastion du Front National. Hommes et femmes rivalisent de combativité2. Les hameaux et les bergeries sont autant de relais pour les hommes du maquis.

Au hameau de Penta, près de Petreto, toute la population valide est dans la résistance. La famille de Jules Mondoloni en est le vivant symbole: le père est interné par l'ennemi à la prison de Sartène; quatre fils: Jules, brillant mitrailleur de la guerre 1939-1940, est mort en combat à Ajaccio le 17 juin, Paul est prisonnier de guerre, Séraphin est déporté, François est au maquis avec sa mère et ses deux sœurs. Dans une autre famille Mondoloni, trois frères3 sont déportés. Un père de neuf enfants, Paul Arrii, assure les liaisons de jour et de nuit, par n'importe quel temps. Un gamin de quatorze ans, «Chicolu», est le benjamin du maquis.

Au hameau des «Martini» (Fozzano), François Sorba («Franceschu Martinu») accueille chez lui pendant des mois des dizaines de patriotes et participe à toutes les missions. Il en est de même pour toutes les familles de la haute vallée de Baraci4. La population des «Martini» jointe à celle de «La Casta» (Cargiaca) participe aux parachutages sur le terrain «Fouine», au col de Sio.

Pendant l'occupation, les coups de main contre l'ennemi n'ont jamais cessé dans cette région.

Depuis octobre 1942 où il rédige et diffuse des tracts contre Laval et le S.T.O., Dominique Bighelli, condamné par contumace, vit dans ce maquis dont il est responsable politique. Il a déjà fait le coup de feu contre les carabiniers près de Serra-di-Scopamene.

Jean-Baptiste Giacomini, depuis mai 1943, assure les liaisons entre le secteur et le Comité d'arrondissement de Sartène.

Tous deux trouvent une mort héroïque, en combat, au retour d'une mission remplie, le 7 août, au col de Foce-Livèse. Le jeune Marc Mondoloni est blessé au cours de cette rencontre.

  • 1. Parmi lesquels le docteur Achilli, maire d'Isolaccio-di-Fium'Orbo, l'avocat Cancellieri, Raoul Catta, le professeur Eugène Comiti, le colonel Costa, François Gambaro, Louis Leca, de San Nicolao (mort des suites de déportation), le journaliste Jean-André Livrelli, le docteur Lucciani, de Moca Croce, le poète Maestrali, l'avocat Joseph de Montera, le sénateur Alexandre Musso, Pierre Oppicci, le génétal Poli-Marchetti, André Salini, Pierre-Marie Versini de Cristinacce

  • 2. Jacques et Jean Vellutini, Charles Olivieri, Antoinette Carlotti, Marcelle Lorenzi, Lucie Secondi, Angèle-Marie Giacomini à Petreto; la famille Don Côme Nicolaï, Pierre-André Olivesi, Tony Pgliastroni à Casalabriva; Jacques Ettori, Jacques Balisoni dit «Baïnetta», Paul Secondi, le maire Balisoni à Olmetto, la famille de l'instituteur Pierre Casanova à Miluccia; Dominique Casalta et François Federici à Argiusta, les familles Renucci et Giovacchini à Sainte-Marie-Viggianello,etc.
  • 3. Jules, Jean et Jacques
  • 4. Pierre Sorba, Cesari, Noële, Paoletti, Secondi, Martin Sorba se fera tuer à l'age de vingt ans dans les combats pour la libération de Paris

Dire l'indicible

Si Petreto-Bicchisano a nourri en son sein une si puissante et résolue Résistance à l'occupant fasciste, c'est parce qu'elle comptait, à l'image de Jules Mondoloni, des hommes et des femmes valeureux, dans une population acquise, dans l'ensemble, à la nécessité du combat pour la liberté. Et c'est ce qui a valu au village une terrible (et en Corse, unique) punition collective : la rafle du 6 juillet 1943 et la déportation d'une quarantaine d'hommes, comme représailles à la fusillade d'Ajaccio où trouvèrent la mort André Giusti et Jules Mondoloni.

Après une halte à l'île d'Elbe, ils seront acheminés vers Wolsbert en Autriche, via l'Italie. Charles Bonafedi s'évadera et mourra au combat dans les rangs des partisans yougoslaves le 2mars 1945. Antoine Cornéani ne survivra pas à la déportation. Les autres en reviendront mais resteront marqués à jamais. Quelques-uns parmi eux ne survivront pas longtemps. C'est le cas de Dominique Léandri, Pierre André Olivesi et Jules Secondi. Et pour ceux qui survivront, certes la vie continuera, mais ils auront vécu l'abominable, l'indicible.

Pourtant, "l'indicible ne doit en aucun cas devenir le dernier mot de l'histoire, une sorte de tabernacle devant lequel il faudrait s'incliner".[1] Ouvrir le tabernacle, à Petreto-Bicchisano, c'était d'abord dresser la liste des déportés. Sans prétention à l'exhaustivité, c'est chose faite, grâce à notre amie Catherine Arriri, elle-même fille de déporté. Elle a patiemment recherché et sorti de l'anonymat les victimes de la déportation.[2]

Fil à fil, a été reconstitué ce pan de la mémoire du village. Plus de cinquante ans après, dresser cette liste n'est pas simple inventaire. Là où les tenants de la barbarie ne voulaient plus voir que des numéros matricule, plus de cinquante ans après, le simple fait de nommer les déportés est comme un pied de nez à la bête immonde. Là où ils ne voulaient que fusion des individus en une totalité compacte et anonyme, nommer les déportés, parler au singulier d'une vie, d'une souffrance, d'un destin, c'est aujourd'hui encore une victoire de la dignité sur l'abject.

Antoine Poletti.

 


[1]Patrick Kechichian (Le Monde des Livres).

[2]Cette liste a été publiée dans la presse régionale (La Corse du 26-03-97 et Corse Matin du 27-04-97) ainsi que dans Le Petit Bastiais. Son directeur, notre  ami Jean Baptiste Fusella, secrétaire de l'ANACR de Haute-Corse, a entrepris la réalisation d'une monographie sur la déportation en Corse.

"Ce qui doit être lu"

Il y a des lieux où s'ancre la mémoire, où se condense une histoire héroïque. Pourquoi, avant même l'invasion mussolinienne, le feu de la Résistance qui courait dans l'île, embrasa-t-il cette région de Petreto-Bicchisano, jusqu'à la faire incandescente ?

Enigme de l'histoire ? Non, plutôt sujet de réflexion et de recherche pour les historiens quant aux circonstances qui ont fait de ce village un haut lieu de la Résistance. Ici, les bons enfants furent légion, entourés de la courageuse solidarité des habitants. De ces bons enfants, certains noms claquent comme des drapeaux : André Giusti et Jules Mondoloni tombés les armes à la main, Dominique Bighelli et Jean Baptiste Giacomini fauchés par la mitraille fasciste. Et puis il y a celui qui est passé dans la vie comme un astre lumineux, très haut, très vite, mort au combat en terre yougoslave, mais poursuivant sa course céleste dans notre souvenir. Charles Bonafedi. Destin singulier aussi d'une déportation collective qui frappa en représailles plus de quarante hommes du village.

Petreto-Bicchisano eut donc ses braves gens, ses héros et ses déportés. Il eut aussi ses chefs, ses meneurs d'hommes, ses responsables rivalisant de courage : Paul Colonna d'Istria, Paul Bungelmi, François Mondoloni, Charles Giacomini, Charles Vinciguerra, Joseph Buresi, Jacques et Jean Vellutini, Jacques Giacomini, Charles Olivieri et de nombreux autres attachés à libérer la patrie de la marque infamante des nationalistes fascistes et nazi. Ceux-là parcouraient la Corse pour d'innombrables missions, ces autres opéraient au plan régional, d'autres ailleurs dans l'île.

Il y eut à Petreto-Bicchisano ces femmes admirables, au courage infaillible : Antoinette Carlotti, Mèmè Bighelli, Marcelle Lorenzi, Lucie Secondi, Angèle Marie Giacomini décorée de la croix de guerre et toutes celles acquises à la cause de la liberté.

Il y eut enfin ceux que la tourmente de la guerre dispersa aux quatre vents de l'Europe, soldats avec ou sans uniforme. Tous ont écrit une des plus belles pages de notre histoire, et puisque LEGENDA veut dire en latin "ce qui doit être lu", ce qui doit être enseigné, alors, il ne fait pas de doute : la Résistance est une Légende.

 

Antoine Poletti

Le testament de Bonafedi

Il avait dix-sept ans quand l’ennemi vint occuper son village, en novembre 1942. Il entre dans la Résistance, est fait prisonnier et part, enchaîné, vers le lointain exil. Du camp de déportation il s’évade et, le 25 août 1944, il envoie en Corse ce message qui en dit plus long  que tout ce livre sur les mobiles de notre combat:

Mes très chers parents,

Je vous écris à tout hasard car je ne sais si ma lettre vous parviendra. Enfin, vous saurez qu’avant de partir j'ai pensé à vous.

Demain à une heure de l'après-midi je pars... Ici une ressource s'offre à moi: ne pouvant combattre aux côtés des Français, je vais rejoindre les patriotes slaves.

Si vous restez longtemps sans nouvelles de moi ne désespérez pas car s'il m’arrivait malheur vous seriez prévenus; mais si cela arrivait ne me pleurez pas, je serai mort en tâchant de faire mon devoir.

J'ai vu, papa, les sacrifices que tu as consentis pour m'envoyer à l’école. Si je vais combattre c'est pour que d'autres papas n'aient pas besoin de se saigner pour élever leurs enfants, c'est pour que tout le monde travaille dans un monde de paix et de prospérité.

Si je tombe, d'autres resteront qui finiront notre œuvre.

Maman, ne te fais pas de mauvais sang. Ton fils, vois-tu, va lutter pour que les autres mamans qui viendront n'aient plus peur pour leurs gosses. Sois courageuse comme j'essaie de l'être en ce moment: je ne veux pas pleurer, non, c’est mon devoir que je vais faire.

Paulo, toi mon frère, n'abandonne pas papa et maman. Console maman surtout. Tâche de lui faire comprendre que je devais faire cela.

Embrassez tous nos parents et saluez tous les camarades  et les voisins.

J’ai le ferme espoir de retourner et alors nous pourrons faire la fête.

Courage tous!

Si vous recevez la nouvelle de ma mort, plantez une croix à côté de la tombe de jules Mondoloni.

Si je ne reviens pas, sachez que ma dernière pensée aura été pour vous et pour la cause. je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre fils qui pensera toujours à vous.

Charlot BONAFEDI

 

Au cimetière de Petreto-Bicchisano, une petite croix est plantée, près de la tombe de Jules Mondoloni.

Que l'herbe jamais ne l’étouffe!

 

Ajaccio 9 Septembre 1955 - Paris le 30 novembre 1955

 

Monument de Petreto Bicchisano à la mémoire des résistants
Monument Colonna d'Istria
Cimetière de Petreto-Bicchisano -Mémoire de Jules Mondoloni et de Charlot Bonafedi
Jules Mondoloni - Né à Petreto-Bicchisano (Corse-du-Sud), le 08-06-1914. Décédé le 17-06-1943 à Ajaccio .
datedebut: 
Samedi, 7 Août, 1943