La bataille de Lévie

Origine de la source: 
Antoine Poletti
Section: 
Géoloc
Ville: 
Lévie
Id: 
1 210
Personnes: 
Texte long: 

Du 15 au 17 septembre 1943, les derniers jours qui précèdent la venue des secours de l'opération Vésuve, une dure bataille oppose trois protagonistes dans l'Alta Rocca : les patriotes du Sartenais, une des régions les plus accidentées et les plus boisées de la Corse, des Italiens récemment ralliés à la cause des Alliés et, face à eux, des Allemands, débarqués de Sardaigne, qui cherchent à s'emparer des cols ouvrant la route d'Ajaccio avec l'appui de Chemises noires.

Une action stratégique décisive

Les patriotes, appelés à prendre les armes par la direction du Front national, depuis le 9 septembre 1943, ne disposent encore que du secours incertain, mais qui va se révéler précieux, de forces italiennes munies de batteries d'artillerie et d'une compagnie d'infanterie. Ce n'est pas sans répugnance que le général Ticchioni, qui les commande, agit contre ses alliés de la veille et surtout contre les Chemises noires. 
Les Allemands sont dans la première phase de leur campagne en Corse : la 90e Panzer Grenadierdivizion a pour mission de faire route de Bonifacio à Bastia, mais le général Von Senger und Utterlin n'a pas encore pris la mesure de la Résistance locale, ni du comportement italien et, pour lui, s'emparer de la base d'Ajaccio, le seul accès aux secours venus d'Afrique du Nord, serait du plus haut intérêt. Son autre objectif est d'atteindre Quenza où la Stürmbrigade SS Reichsführer a placé un dépôt important de matériel et de carburant. 
Depuis le 10, la garnison de Quenza subit les assauts des  patriotes. Un convoi est attaqué à San Gavino di Carbini par des hommes qui comptent ceux du commandant Pietri. Le 13 septembre, les Italiens reçoivent l'ordre de combattre les Allemands. Il y a, à Levie, une garnison italienne qui dispose d'une batterie de 75. Il faudrait plus. Mais le général Ticchione, qui a son PC à Zonza, choisit de se replier sur Aullène avec DCA et pièces anti-chars. Le 15 septembre, une forte colonne allemande avec des véhicules blindés, des canons d'assaut et des camions transportant 3000 hommes,  part de Porto-Vecchio, se dirige vers Carbini et Levie, avec pour objectif les cols de la dorsale situés aux environs de 1000 mètres. Elle ne passe pas par l'Ospedale réputé bien défendu par les résistants, mais par la route stratégique. Les Chemises noires sont en tête. 

Les Corses sont dirigés par le lieutenant de Peretti, un jeune officier de Tirailleurs en congé, dont les qualités tactiques et le courage sont pour beaucoup dans le succès final. Le convoi, arrêté d'abord au tunnel d'Usciolu, retardé par les barrages de pierres déversées sur la route entre le col de Bacino et Orone, est harcelé par les tirs des maquisards. Un avion de reconnaissance allemand incendie le maquis. Les Allemands passent le tunnel dont la destruction à la dynamite avait été prévue mais non encore réalisée et l'artillerie italienne détruit trois de leurs camions. Mais ils progressent jusqu'à Carbini, à 8 km de Levie. Enfin, le matin du 16 septembre 1943, les patriotes font sauter le pont de Rajo, à moins d'1km de la ville, ce qui stoppe l'avance des engins motorisés ennemis. 
Un affrontement entre les Corses conduits par de Peretti, soutenus par des grenadiers italiens, entraine la perte de dix hommes du côté italien. Un bataillon italien venu en renfort de Pianottoli fuit sous les tirs de mortier des Chemises noires. Les patriotes, insuffisamment armés, se replient au-dessus du Pianu de Levie. Des bombardiers allemands font un raid sur la ville, dans l'après-midi du 17septembre 1943, après le retrait des Allemands qui n'ont pas réussi à réparer le pont de Rajo et ont été dissuadés par l'importance de la Résistance locale. Pendant leur retour, ils détruisent deux ponts sur le Fiumicicoli et endommagent le tunnel d'Usciolu, en-dessous du col de Bacino. Le lieutenant de Peretti estime à 250 morts les pertes allemandes, à 10 celles des Italiens, à 11 celles des patriotes. Une femme de 73 ans a été tuée lors du bombardement allemand sur Levie le 17 septembre. La colonne allemande aurait perdu 27 camions. La région du Sartenais est considérée comme celle où se trouvait la plus forte densité de patriotes. Le Comité d'arrondissement du Front national de Levie, dont faisaient partie Ange Stromboni et le futur maire de la Libération, Trajan de Peretti, ont rempli une mission qui a valu la citation de Levie à l'ordre de l'armée.

Auteur : Hélène Chaubin
Source : 

  • La Résistance dans l'Alta-Rocca en septembre et octobre 1943, novembre 2001, publication, Dossier établi par le lieutenant-colonel Jacques de Peretti pour le mémorial informatique. 
  • Lévie 25 septembre 1943, publication, Compte-rendu du lieutenant Jacques de Peretti pour le Comité d'Histoire de la Seconde Guerre mondiale. 
  • Résistance et libération de la Corse, 1993, publication, Brochure documentaire éditée par le CRDP de Corse. 
  • Choury Maurice, Tous bandits d'honneur !, Ajaccio, La Marge, 2000. 
  • Général Fernand Gambiez, Libération de la Corse, Libération de la France, dirigée par Henri Michel, Paris, Hachette, 1973, 318, Ouvrage écrit 30 ans après la libération de la Corse à laquelle le Bataillon de choc commandé par Fernand Gambiez a largement participé.

Entretien réalisé en septembre 2004 entre le colonel De Peretti et Marcel Santoni:

Latitude/Longitude: 
POINT (9.1231 41.7028)
Citations: 

Extraits du livre de Maurice Choury La Résistance en Corse -Tous bandits d’honneur - Éditions sociales (1968) - La Marge Edition (1988); Éditions Piazzola septembre (2011)

Du col de Baccino à Levie

A 9 heures [le 15 septembre], la colonne motorisée atteint le col (808 mètres). Les patriotes ont eu le temps de rétablir les barrages piégés de grenades amorcées, Les premiers Allemands qui essaient de dégager la route tombent. Les barrages sont démolis au canon, mais toujours sous le feu des patriotes. Un camion de munitions saute, deux autres sont incendiés.

Les patriotes du sergent-chef Matthieu Salvini qui a remplacé le lieutenant Cucchi appelé au Comité d'arrondissement pour la défense de Sartène, se déplacent sur le talus, harcelant sans faiblir l'ennemi qui avance péniblement en chargeant ses morts sur les camions. Un seul bloc de granit, basculé sur le chemin, les arrête pendant deux heures.

Aux fusils-mitrailleurs, le cantonnier Angelin Tomasini, l'instituteur Vincent Lovichi, Paul-François Cucchi, les deux Joseph Cucchi, les tireurs d'élite François Bietoli et Jacquot Cucchi, font des ravages dans les rangs de l'ennemi. Sous le feu des mortiers allemands, deux jeunes filles, Laure et Claire Cucchi (de Radici), ravitaillent les patriotes.

Chacun des vingt et un barrages est âprement défendu. Pour franchir deux kilomètres, la colonne met huit heures!

A la nuit, le convoi constamment mitraillé sur les flancs atteint Orone non sans avoir essuyé le feu de l'artillerie italienne. A la faveur de l'obscurité, il pousse jusqu'à Carbini, où il reçoit des renforts. Un vieil homme de soixante-sept ans, Dominique-Antoine Cucchi, est tué par un éclat d'obus à la tête au lieudit Zuccale. L'infanterie allemande et les chemises noires armées de nombreux mortiers dépassent le village.

Le 16 à l'aube, l'ennemi est au pont de Pargola, sur le Fiumicciolo à deux pas de Levie... Un avion de reconnaissance éclaire sa marche.

Les Italiens sont pris de peur. Les patriotes et un officier ramènent le calme par la persuasion... et la menace. La batterie italienne du capitaine Farinata ouvre le feu et immobilise un char. Mais la riposte est très violente; huit servants sont blessés et la batterie se retire sur Quenza...

A 8 heures, deux nouveaux barrages sont franchis et les Allemands sont aux portes du village. Les patriotes font alors sauter le pont du Rajo. Les engins stoppent au bord d'une brèche large de 12 mètres et profonde de 20. L'ennemi enlève les châtaigniers couchés sur le chemin et essaie de rétablir le passage. Les patriotes attendent de Pianottoli le renfort d'un bataillon italien. Le voici : il arrive par un chemin muletier. Mais aux premiers coups de mortiers, le bataillon tout entier, lieutenant-colonel en tête, se débande, abandonnant tout son matériel, mitrailleuses, mortiers et canons antichars.

Aux abords du pont détruit, les patriotes (Groupes Paul Nicolaï, Antoine Marengui, Andreani et fils, et du brigadier-chef Parsiani)  s'accrochent désespérément. Encouragée, la section des grenadiers italiens du lieutenant Buscaglia se bat bravement et perd dix hommes autour de ses deux F.M. Le feu des patriotes est meurtrier. Avec deux F.M. pris à l'ennemi, Antoine Mondoloni réduit par deux fois deux mortiers au silence.

Les Allemands décident d'en finir. Leurs soldats ont l'ordre de pénétrer dans le maquis. Devant la densité de feu de nos F.M., les premiers refusent. Un officier les abat. Les autres obéissent. L'infanterie réussit, au prix de pertes sensibles, à occuper vers 14 heures le piton qui domine le cimetière de Levie. Des patrouilles se répandent dans le village. Le doyen des patriotes, Simon François de Peretti tombe, son fusil de chasse en main. Il avait soixante-quinze ans.

Près du pont, la fusillade fait rage jusqu'à 16h30. Partout le maquis est en flammes. Les munitions se font rares. Les patriotes se retirent sur les hauteurs de Piano dominant le village à l'ouest.

Dans la nuit, les Allemands évacuent les pentes où la mort rode derrière chaque buisson et se rassemblent sur la route.

Levie a repoussé l'assaut d'une puissante colonne ennemie (16-17 septembre 1943). Le maire rend hommage à l'héroïsme des francs-tireurs et au patriotisme de toute la population.

L'ennemi bat en retraite

Le lendemain, 17 septembre, la colonne décimée, n'a pas réussi à rétablir le pont du Rajo. Elle prend le chemin du retour. L'offensive de Levie a été un cuisant échec. Dans leur haine, les S.S. Fusillent le patriote Louis Pini de Levie, et Jérôme Comparetti, faits prisonniers la veille au soir (Deux autres patriotes de Bonifacio étaient déjà tombés le 12 septembre dans la lutte pour la libération : Paul-Noël Beretti, responsable du Front National et Paul Nicolaï). Quatre bombardiers s'acharnent sur le village désert, causant la mort de Liline Rocca Serra et occasionnant d'importants dégâts matériels. L'ennemi ensevelit sommairement quelques cadavres; il emporte les plus récents. Il incinère les autres – une trentaine – après les avoir arrosés d'essence et s'en va, battu.

Au-dessus du pont du Rajo croassent les corbeaux.

Harcelée par les patriotes de Carbini, la colonne, après avoir fait sauter derrière elle les ponts du Fiumiciolo et de Canalono, et pillé Carbini et Orone repasse à 11 h15 le tunnel et le fait sauter aussi non sans perdre encore une quinzaine d’hommes dont un officier, deux camions carbonisés, une moto et des munitions. Si l'on en juge par les enveloppes de paquets de pansements jonchant la route, le nombre des blessés doit être impressionnant. L’ennemi se replie sur Porto-Vecchio laissant quelques éléments d’arrière-garde à Sotta.

Trois mille hitlériens et fascistes ont participé à cette action. Les pertes des patriotes se chiffrent au total à 7 morts. Mais, selon une évaluation qui n’a rien d'exagéré, l’ennemi a eu, du fait des patriotes seuls, outre trente-huit véhicules détruits, trois cents blessés et deux cent cinquante morts.

Cette défaite allemande eût pu tourner au désastre, si une compagnie du bataillon de choc avait été envoyée sans retard pour faire sauter le tunnel d'Usciolo le 17, couper la retraite aux blindés ennemis et, en coopération avec les patriotes, anéantir toute la colonne allemande.

Le Monument de la Résistance de Lévie
Stèle en hommage aux combattants de Lévie
Levie: citation à l'Ordre de l'Armée
datedebut: 
Vendredi, 10 Septembre, 1943